[a] RENAULD Marion, « Fiction », in L’Encyclopédie philosophique, 2016, en ligne, consulté le 18 décembre 12 2024, [https://encyclo-philo.fr].

[b] « fiction », in CNRTL, en ligne, consulté le 12 décembre 2024, [https://www.cnrtl.fr].

[c] RENAULD Marion, Ibid., en ligne.

[d] ATALLAH Marc, L’Art de la science-fiction, éditions ActuSF, 2016, p. 31.

[e] HARY Estelle, KERPERN Bastien, PEDROTTI Daniele, « Design centré sur les animaux en milieu urbain connecté : notes du compendium », in Urbanités numériques, Sciences du Design, n°3, 2016, p. 106.

L'utilité de la fiction est source de débat : il y a des fictions considérées comme « heuristiques utiles » et d’autres comme « frivoles ou gratuites [a] ». En effet, certaines fictions trop éloignées du réel sont perçues comme des prouesses spectaculaires sans profondeur, constituant par la même occasion des échappatoires du réel. Cependant, ces fictions peuvent également être le vecteur de messages critiques, comme les pièces à confiction que nous allons étudier dans ce chapitre : nommées les anticipations.


Science-Fiction

La première définition de la fiction apportée par le CNRTL (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales) est celle d’un « mensonge, [d’une] dissimulation faite volontairement en vue de tromper autrui [b] ». C’est pourquoi le terme de fiction est régulièrement employé pour désigner ce qui n’existe pas dans le réel, associé à une « chimère fantaisiste [c] ». Prenons l’exemple du film de science-fiction Les Gardiens de la galaxie Vol. 3 [63] qui dévoile l'histoire touchante de Rocket, un raton laveur victime d’expérimentations en laboratoire. Lorsque les spectateurs peuvent percevoir ce troisième volume uniquement comme une suite d’effets spéciaux impressionnants, l’association de défense des animaux PETA (People for the Ethical Treatment of Animals) perçoit ce film comme une sensibilisation contre la maltraitance animale. Ces points de vue opposés s'expliquent par la distanciation temporelle avec le réel : l’équipe des Gardiens de la galaxie est constituée de hors-la-loi intergalactiques qui protègent la galaxie de divers dangers. Leurs aventures cosmiques se déroulent, donc, sur des planètes et une temporalité éloignées de la nôtre. Dans L’Art de la science-fiction, Marc ATALLAH désigne la science-fiction comme « l’art de nous mettre à distance de notre quotidien avec pour objectif de le penser par le biais de détour poétique [d]. » Par conséquent, la science-fiction fait semblant de nous parler d’un monde à venir, pour en réalité nous inviter à questionner le monde présent. C’est un récit d’indices à décrypter pour comprendre ce que raconte au fond la fiction. Le fait de devoir justement décrypter ces indices constitue un frein à leur compréhension.


Design fiction

L’usage de scénarios critiques projetés dans le futur est également employé par le domaine du design fiction. En 2016, le studio Design Friction remet en question le concept de Smart City [38] en invitant à penser ces nouvelles villes non plus uniquement de façon anthropocentrique, mais au contraire avec les animaux. Ils ont notamment imaginé des scénarios possibles avec des protocoles d’ethnographie spéculative. Selon le Docteur Danielle PEDROTTI, le design a un rôle majeur à jouer dans notre coexistence avec les animaux, ayant une capacité « à extrapoler et à représenter des enjeux complexes [e]. » Théorisé par Dunne et Raby dans Speculative everything. Design, Fiction and Social dreaming, le design fiction est né dans les années 1990, afin de remédier à l’absence de sens critique au sujet du progrès technologique. Le recours au design fiction est ainsi envisagé comme un outil qui explore des futurs préférables ou non. L'objectif est au fond de nous faire réfléchir à notre présent. Est-ce qu’alors l’invention de la cuisine désincarnée pourrait être une alternative préférable à notre consommation actuelle de viande ? Dans son projet Dressing the Meat of Tomorrow [30], le designer James KING imagine l'invention de la viande in-vitro, une nouvelle technique d’ingénierie tissulaire permettant de faire pousser de la viande comestible en laboratoire. Pour ce faire, il faudrait créer des moules en scannant les plus beaux exemples de bétail. Le designer a donc donné vie à ce scénario par un artefact prospectif matérialisant la coupe précise d’un organe interne scanné.


Satire

Lorsque les anticipations observées précédemment sont projetées dans un futur éloigné de notre présent, d’autres choisissent en revanche d’emprunter une esthétique proche de celui-ci. Les créateurs anonymes du site la Ferme Bernier [66] empruntent avec ironie le vocabulaire employé par l’élevage industriel. Au lieu d’appliquer ce discours aux bétails, ils le transposent sur des chiens élevés pour leur viande. Ils publient des images de canidés heureux en plein air qui sont apposées à côté d’images de burgers avec une viande saignante à souhait. Ces images sont choquantes pour les Occidentaux, puisque les chiens ne font pas partie de leur alimentation (contrairement à d'autres pays qui consomment de la viande de chien comme nous consommons celle du cochon). Quant à l’auteur du manuel pratique Cruelty to animals [37], Vivien LE JEUNE DURHIN, il illustre soigneusement des techniques de tortures cruelles effectuées sur des animaux. Grâce à son expérience de designer graphique, il fait en sorte que cet ouvrage fictif ressemble à un véritable manuel scientifique : il y a des schémas détaillés, des instructions traduites en six langues, une organisation méthodique avec notamment un index… L’auteur de l’ouvrage insiste sur le fait qu’il ne souhaite pas faire une apologie de la violence, au contraire, il dénonce plutôt l’absurdité de celle-ci. Or même si le ton se veut satirique, cet objet pourrait être mal interprété et perçu comme un véritable manuel de torture. En définitive, les images-fictions sont des outils complexes à manier dans la lutte contre la maltraitance animale, elles peuvent être salvatrices autant que dévastatrices.